mercredi 15 janvier 2014

Critique: Viande à chien

Il n'est pas aisé d'actualiser un mythe.  Le Nouveau Théâtre Expérimental et le Théâtre des Fonds de Tiroirs s'y sont attaqués.  Pari réussi ?

Par Robert Boisclair

Viande à chienune adaptation moderne et libre du roman Un homme et son péché, se déroule aujourd'hui dans notre monde moderne.  Séraphin Poudrier est à la fois un maire, un propriétaire foncier et un homme d'affaires moderne qui joue à la bourse, ce qui le perdra d'ailleurs.  La belle et jeune Donalda semble vivre une vie paisible, en surface à tout le moins.  Alexis, quant à lui, revient d'un reportage photo auprès des indiens Haïda de Colombie-Britannique.  Une tempête solaire viendra chambouler les univers de Séraphin et Donalda.

Le trio d'auteurs a su respecter les grandes lignes de l'histoire d'origine.  Bien sûr, tout n'y est pas.  Mais l'essentiel est là.  La trame narrative, bien sûr.  Mais aussi, le sous-texte. Cette critique, cette charge contre le capitalisme de Claude-Henri Grignon, l'auteur d'Un homme et son péché, s'y trouve du début à la fin.  Le trio ne prend aucun parti-pris mais nous lance en plein visage les effets pervers de cette course à l'argent.  Course qui perdra Séraphin.  Mais tous y perdront.  Donalda, y perdra la vie et l'amour de sa vie.  Alexis y perdra une amie, un amour peut-être, et un destin heureux.

Tout ça enrobé dans une ambiance épurée et moderne.  Un loft très peu meublé dans les tons de blanc avec une cuisine, un salon et une maison Fisher-Price.  Cette maison Fisher-Price, inspirée sans doute de la cache où Séraphin, dans le roman d'origine, entassait ses précieuses richesses, est, en quelque sorte l'inconscient de Séraphin, lieu où les (véritables ?) désirs de Séraphin sont enfouis.  Un peu à la manière de cette cache du roman.  Il y a bien quelques objets qui y sont enfouis mais aussi des désirs inavoués de Séraphin.  De l'amour, entre autre.  Puisque Donalda finira par s'y retrouver.

Un texte qui coule bien malgré une écriture à six mains que l'on sent par moment.  Trois auteurs, trois styles assez bien enrobés mais dont on devine, à quelques occasions dans les répliques, le style de tel ou tel auteur.  L'utilisation des noirs entre les scènes bien qu'intéressante au début devient lassante en cours de représentation.  Une utilisation moins fréquente ou plus judicieuse aurait permis à la pièce d'atteindre un meilleur rythme. Plus ramassé, le texte aurait eu une charge plus véhémente qui aurait happé le spectateur.

Sébastien Dodge (Séraphin) offre une belle performance, parfaitement typée et aux accents du Séraphin de la télésérie Les belles histoires des pays d'en-haut.  Noémie O'Farrell offre une jeune et fraîche Donalda.  Elle aime mais s'ennuie auprès de Séraphin et est exaltée auprès d'Alexis (Guillaume Baillargeon).

Est-ce que le pari d'actualiser le mythe est réussi ?  Pari réussi pour l'actualisation. L'essentiel y est.  Il y manque cependant une charge contre le capitalisme plus forte et une dose d'émotions.  Mais le capital, n'est-il pas froid et sans émotion après tout.

À la fin du spectacle, la question de fond, celle que mentionnait Alexis Martin aux Enfants du paradis, qu’est-ce qui dans l’or fascine tant l’avare ?, nous reste en mémoire.  N'est-ce pas ce qui est essentiel après tout ?  Que l'on se pose cette question est un signe que la production a gagné son pari.

Au Périscope jusqu'au 1e février.  Avec Sébastien Dodge, Guillaume Baillargeon, Jonathan Gagnon, Noémie O'Farrell et Louise Cardinal.  Une mise en scène de Frédéric Dubois.  Un texte de Jonathan Gagnon, Alexis Martin et Frédéric Dubois.

Apprenez-en plus sur la genèse de la pièce en consultant notre Trois questions à... Alexis Martin ou notre interview avec Frédéric Dubois et Noémie O'Farrell (au tout début de l'émission du 6 janvier).

Aucun commentaire:

Publier un commentaire