mercredi 24 septembre 2014

Les mots des concepteurs: Rose-Marie Belisle, traductrice

Les mots des concepteurs est une série qui laisse toute la place aux concepteurs, héros de l'ombre des spectacles de théâtre et de danse de Québec. Sans eux, ils n'y auraient pas de si beaux moments théâtraux. Avec leurs mots, ils nous disent le bonheur et le plaisir de travailler pour tel ou tel spectacle.

Rose-Marie Belisle est traductrice. Elle nous raconte dans ses propres mots la genèse de la traduction de la pièce Dans le bois, de l'auteur David Mamet, qui tient l'affiche de Premier acte jusqu'au 4 octobre.  Place aux mots de Rose-Marie Belisle.

Par Rose-Marie Belisle 



Le texte que met en scène le collectif Bois franc et langues fourchues est une version légèrement remaniée du texte de David Mamet que j’ai traduit il y a 25 ans. On était alors dans les années 1980, et la langue québécoise parlée était encore un phénomène relativement nouveau au théâtre. J’avais fait partie d’une petite troupe autogérée, les Productions Germaine Larose, qui comptait deux traducteurs professionnels, dont moi, et qui s’était fait remarquer en traduisant en québécois des textes américains, britanniques et allemands.

Avant nous, pour justifier une traduction en québécois, il fallait faire une adaptation. Le dessin animé Les Pierrafeu, ou la pièce L’effet des rayons gamma sur les vieux-garçons, traduite par Michel Tremblay, en sont de brillants exemples. Dans ces cas, on transposait l’action au Québec, on changeait les noms des personnages et les noms de lieu, et il devenait alors logique de faire parler les personnages avec l’accent du Québec. Les Productions Germaine Larose ont eu l’originalité de proposer des traductions en québécois, sans adaptation. Les personnages restaient des Américains, des Britanniques ou des Allemands, selon le cas, mais si, dans le texte original, ils parlaient une langue populaire, on les faisait parler dans la langue populaire du Québec.

C’est le Café de la Place, à Montréal, qui m’avait commandé, en 1989, cette traduction de la pièce The Woods de David Mamet. J’ai remis mon texte et quelques jours plus tard, on s’est tous réuni pour en faire la lecture. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions assis autour d’une table, les deux acteurs, la metteure en scène, le directeur de la salle et moi. Les acteurs ont commencé à lire à voix haute. Il y avait de la tension dans l’air. Qu’est-ce qu’on allait découvrir? Y avait-il des grossièretés dans ce texte? Des mots vulgaires? Des sacres??? À la fin de la lecture, le soupir de soulagement était palpable. Finalement, ce n’était pas trop mal … On allait pouvoir présenter ça à la Place des Arts.

Aujourd’hui, le texte revu et corrigé par le collectif Bois franc et langues fourchues permet de mesurer tout le chemin parcouru depuis 25 ans. Parler québécois sur scène ne fait plus problème. Les répliques ont été resserrées, elles ont plus d’aplomb, plus de punch. On dit les choses comme elles sont, crûment s’il le faut. Et un sacre ou deux, ici et là, ne fait mourir personne.

Et puis l’idée de faire jouer le texte par deux hommes : ça, c'est vraiment audacieux!  Ça change complètement la dynamique de la pièce. On se rend compte à quel point, quand on voit un couple traditionnel, homme-femme, on leur applique, sans s’en rendre compte, tout un bagage de présupposés culturels. On s’attend de l’un comme de l’autre à toutes sortes d’attitudes et de comportements convenus … mais quand la composition du couple change, tout à coup on fait table rase et on se met à écouter ce que chacun dit, sans trop d’idées préconçues. Pour ma part, cette nouvelle lecture m’a fait voir la pièce d’un tout autre œil.

David Mamet a écrit une pièce magnifique, toute en subtilité, qui n’en finit plus de révéler sa richesse. Et le collectif Bois franc et langues fourchues en livre ici une interprétation inspirée qui sert réellement le propos.

Apprenez en plus sur ce spectacle en consultant notre Trois questions à... Danielle Le Saux-Farmer ainsi que notre critique du spectacle.

Bon théâtre et bonne danse !

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