mercredi 28 juin 2017

Belle famille: complètement déjanté!

Bertrand Alain propose un spectacle complètement déjanté dans la plus pure tradition du théâtre d'été: quiproquos, situations rocambolesques, grande naïveté des personnages et rires à profusion.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Valérie Chouinard

Toe Bartoloméo (Charles Fournier) est un tueur à gages sans envergure qui a pour mission de faire disparaître Laura Comeau (Sarah Villeneuve-Desjardins), ancienne maîtresse d'un célèbre parrain de la mafia. Après être entré par effraction à son chalet afin de la liquider, il constate avec désarroi que sa cible a déjà pris la fuite. C’est alors qu’arrive Laurie (Sarah Villeneuve-Desjardins), la sœur jumelle de Laura ainsi que sa mère Catherine (Sophie Dion). Celles-ci, qui ignorent tout des activités de Laura, croient que Toe est son nouvel amoureux. Pris au piège le fier-à-bras de la mafia décide de jouer le jeu pour mener à terme sa mission. Les choses se compliquent encore plus avec l'arrivée du garagiste du coin (Réjean Vallée). À moins qu'il soit policier! Ou les deux à la fois. La vie du tueur se transforme rapidement en véritable cauchemar!

Déjanté
La proposition offerte par Bertrand Alain, le metteur en scène, et Isabelle Hubert, l'auteure, de cette nouvelle mouture de Belle famille tient de la plus pure tradition du théâtre d'été. Elle est complètement éclatée, la naïveté habite les personnages et les situations sont plus folles les unes que les autres. Bien sûr les ficelles sont parfois bien visibles mais le plaisir, le bonheur et surtout le rire sont au rendez-vous.

La pièce écrite il y a déjà 15 ans a été complètement revampée par l'auteure. Si la trame de base est bel et bien la même, les répliques furent complètement transformées et remises au goût du jour. Si vous avez déjà vu la pièce, attendez-vous à découvrir un tout nouveau spectacle. La mise en scène de Bertrand Alain n'y est pas étrangère également. Sa touche est bien en évidence ici. Elle est dynamique, vive et truffée de moments musicaux.

Crédit photo: Artson Image

Lors de la première la pièce, qui manquait légèrement de rythme et de synchronisme, n'était pas dénuée d'énergie vivifiante. Quelques améliorations dans l'enchaînement de certaines scènes ou des répliques amélioreront le spectacle. Ce ne sont que des questions d'ajustements mineurs qui se règleront rapidement.

La distribution en est une de haut niveau. Énergique, elle offre des performances remarquables. C'est d'ailleurs l'occasion de découvrir une excellente relève en Sarah Villeneuve-Desjardins qui impressionne. Multitalentueuse, elle chante également dans le spectacle et s'accompagne à la guitare, elle est excellente dans les rôles des soeurs jumelles Laurie et Laura. La comédie est un genre qui lui sied bien. Espérons que nous la reverrons bientôt sur les planches des scènes de Québec.

Le reste de la distribution n'est pas en reste. Réjean Vallée, excellent comme toujours propose un personnage d'un comique irrésistible, Sophie Dion, que j'ai pris plaisir à découvrir dans une comédie, et Charles Fournier, merveilleux niais, supportent fort bien le texte d'Isabelle Hubert.

Crédit photo: Valérie Chouinard

Théâtre et musique
Belle famille fait la part belle à la musique et aux chansons. Si quelques pièces musicales semblent fort à propos, une ou deux de celles-ci nuisent au rythme de la pièce et ralentissent l'action. Il est cependant très agréable d'entendre des succès québécois plutôt que des pièces américaines. Le voyage dans l'univers de la pièce n'en est que plus agréable.

Crédit photo: Valérie Chouinard

Une comédie complètement déjanté qui offre un beau moment et qui fera plaisir aux amateurs du genre. Ce spectacle libère le coeur et la joie et laisse un très large sourire sur les lèvres des spectateurs.

À La Roche à Veillon jusqu'au 2 septembre. Avec Sophie Dion, Charles Fournier, Réjean Vallée et Sarah Villeneuve-Desjardins. Une mise en scène de Bertrand Alain. Un texte d'Isabelle Hubert.

Bon théâtre et bonne danse !

mardi 27 juin 2017

En semi-pause estivale!

Si vous visitez régulièrement ce blogue vous avez sans doute remarqué qu'il est en pause estivale. Enfin presque!

Un billet de Robert Boisclair


En fait, ce blogue ne sera pas complètement en pause pour la saison d'été. Bien que l'activité reprendra plus régulièrement au mois d'août, il y aura, entre autres, des critiques de spectacles à quelques reprises dont... au moins une fois cette semaine. Surveillez donc ce blogue, vous risquez d'y faire quelques belles découvertes. Notre compte Twitter continuera d'être actif également, alors suivez-nous tout au long de l'été. Au plaisir de vous retrouvez ici ou sur Twitter.

Bon théâtre et bonne danse !

samedi 10 juin 2017

Mon Carrefour en trois questions

À quelques heures des Regards croisés des critiques et des festivaliers à 13h au Café-bar Le Zinc et de la fin de l'édition 2017 du Carrefour international de théâtre de Québec, je vous propose mes grands bonheurs théâtraux du Carrefour

Une billet de Robert Boisclair

Quel moment me restera en mémoire?

La mise en scène surprenante Des arbres à abattre. Même si le spectacle ne m'a pas subjugué, j'ai apprécié la mise en scène hors norme de ce spectacle. Des gestes lents, un écrin de verre qui magnifiait le jeu des comédiens et une ambiance de fin d'époque qui donnait tout son sens à cette critique de la pratique de l'art qui se perd dans la quête financière et dans le tourbillon politique qui obligent l'artiste à dénaturer son art pour le pratiquer. Notre critique du spectacle.



Quelle est la proposition qui m'a le plus surpris, secoué, questionné?

Une réponse en trois volets tant le Carrefour m'a marqué de plusieurs manières.

Le plus surpris: Un faible degré d'originalité. Un spectacle qui s'annonçait plutôt didactique et pas très enivrant alors que j'ai découvert un spectacle totalement dynamique et vivant. Antoine Defoort est un conteur extraordinaire qui transforme ce qui aurait pu être d'une platitude totale en un vibrant doigt d'auteur aux ayant droits des Parapluie de Cherbourg. Un bel humour et une aventure pseudo-scientifique délirante en agréable compagnie. Notre critique du spectacle.



Le plus secouéTable rase. Ma surprise du Carrefour. Un spectacle qui a du punch, à la parole crue et véridique où l'amitié est la nouvelle famille. Lieu de toutes les vérités, de tout les refuges. Les délires de cette soirée entre amies débouchent sur les angoisses et les enjeux de la vie. Une réflexion qui touche toutes les générations. Un spectacle touchant comme il y en a peu, porté par une merveilleuse et jeune distribution dans une mise en scène vibrante d'amour de Brigitte Poupart. Notre critique du spectacle.

Crédit photo: Marc-Étienne Mongrain

Le plus questionné
Foreign Radical. Un spectacle avec des faiblesses mais un spectacle qui questionne nos croyances et valeurs. Un spectacle d'une grande pertinence qui soulève de grandes questions concernant nos libertés individuelles et nos choix de société. Un spectacle qui trotte encore dans la tête des heures après avoir quitté la salle. Notre critique du spectacle.

Crédit photo: Robert Dewey

Quels grands thèmes reliaient certains spectacles du
 Carrefour?

La très grande place faite à la pensée et aux artistes féminins. Table rase, La fureur de ce que je pense, Où tu vas quand tu dors en marchant...?, qui dans une large mesure offrait une tribune à des créatrices de parcours (Sophie Thibeault, Marie-Josée Bastien, Élène Pearson, Georgia Volpe) et, bien sûr, à des artistes, Et si elles y allaient à Moscou? ou encore Murmures des murs. L'aura féminine squattait un très grand nombre de spectacles. À titre d'exemple, six metteurs en scène des onze spectacles principaux, excluant Où tu vas quand tu dors en marchant...? étaient des femmes.

Dans cette édition l'art était décomplexé, ouvert et surtout osé et surprenant. Les mises en scène de La fureur de ce que je pense, qui proposait sept univers enfermés dans de grandes boîtes superposées, ou encore celle Des arbres à abattre, qui s'offrait le luxe de la lenteur et des longs silences, sortaient des sentiers battus. Et que dire de Foreign Radical où le spectateur devenait participant actif, voire enquêteur ou d'Un faible degré d'originalité qui tenait à la fois du théâtre et de la conférence didactique. Dynamique ou posée, les mises en scène invitaient le spectateur dans de magnifiques imaginaires. Les éclairages y jouaient également un très grand rôle. Comme une sorte de personnage supplémentaire.

La Carrefour offrait en filigrane de nombreux spectacles un questionnement sur l'identité, la quête de son identité ou de soi. Ce questionnement revenait directement ou indirectement. Les multiples personnalités féminines inspirées de l'oeuvre de Nelly Arcand dans La fureur de ce que je pense démontre bien cette quête de soi, de son identité, de ce qui nous définit. Les grandes mutations de vie des personnages de Table rase, les questionnements de vie du Déclin de l'empire américain, le questionnement du nouvel arrivant sur ce qui définit son identité dans Fils de quoi? (laboratoire des Chantiers) ou encore We love Arabs. Une définition de l'identité dans son sens large. Bref, ce qui nous définit.

Voilà qui résume, brièvement, mon Carrefour. Comment était le vôtre?

Bon théâtre et bonne danse !

Foreign Radical: de la peur à la performance

Foreign Radical réussit le pari de transformer la peur et la crainte de l'autre en une intéressante performance théâtrale. Un spectacle qui questionne astucieusement nos valeurs et croyances personnelles.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Robert Dewey

Dans un dispositif scénique qui marie bien installation et performance, Foreign Radical invite un petit groupe de spectateurs à plonger dans un véritable jeu théâtral qui explore la notion de sécurité.

Ayant comme trame de fond une intrigante enquête sur un présumé terroriste, le spectacle oblige les participants à se positionner les uns face aux autres, à prendre des décisions individuelles ou en groupe afin de faire avancer le jeu. Cette expérience soulève des questions bien ancrées dans la société actuelle, à propos de la liberté d’expression, de la protection de la vie privée à l’ère numérique et de la crainte de l’autre à l’heure où se répand la peur du terrorisme.


Une fois n'est pas assez
Alors qu'ils se présentent dans une sorte de grande boîte noire divisée en quatre quadrant, les participants seront appelés à se déplacer au gré des réponses fournies à un animateur qui ressemble étrangement à un hôte de jeu-questionnaire. Les participants sont alors regroupés selon les réponses fournies et sont dirigés vers un quadrant spécifique. Par l'entremise d'une aventure multimédia leur pérégrination les amèneront à se questionner au sujet de la cybersurveillance, de la sécurité, de la vie privée, du profilage et de la liberté d'expression.

Ce théâtre participatif où environ trente chanceux vivront une expérience unique est un spectacle qui demande un deuxième passage pour bien en saisir l'essence. Un seul passage laisse quelque peu sur son appétit. Ne sachant pas ce qui se passe dans les autres quadrant, chaque spectateur n'a qu'une seule petite partie de l'histoire. Que font les autres? Qu'apprennent-ils? Que vivent-ils?

Ce spectacle interactif et immersif fait place à la collaboration et à la compétition entre les individus, surtout dans la dernière partie du jeu-questionnaire, dont les décisions personnelles affecteront le déroulement de l'intrigue. Une trop brève occasion de débattre de ses opinions et même d'en changer ne se présente que vers la toute fin du jeu-questionnaire. Le spectateur curieux et avide d'en discuter n'y trouve pas son compte.

Crédit photo: Robert Dewey

Le déroulement de l'intrigue qui s'effectue en plusieurs langues, anglais, farsi et arabe, n'exige pas d'être bilingue pour s'y plaire.  Cependant un rythme de langage un peu plus lent en anglais de la part des comédiens faciliterait la compréhension pour certains passages plus arides.

L'interaction dans le groupe influençant le déroulement de l'aventure, aucune représentation n'est véritablement le même. L'objectif de ce jeu théâtral est de décider si un suspect fictif doit se retrouver sur une liste de surveillance des terroristes. Les décisions sont parfois difficiles à prendre.

Stimulant
Foreign Radical est un des spectacles parmi les plus stimulants auquel vous participerez. Il remet en question certaines de nos valeurs et croyances et questionne parfois au plus profond de soi-même ces mêmes valeurs et croyances. Il brasse les idées reçues et questionne le prix de la liberté que nous connaissons au Québec. Un jeu théâtral qu'il est bien difficile de quitter. Le sujet questionne et obsède bien après la fin de la représentation. Un rappel de la chance que nous avons. Profitons de notre liberté et faisons les bons choix. Choix qui ne sont pas si faciles comme vous le constaterez en cours de représentation.

Crédit photo: Robert Dewey

Ce spectacle, même s'il a été créé il y a quelques années déjà, est toujours tout aussi pertinent. La proximité et la connaissance intime des autres participants favorisent l'empathie et le désir d'écouter l'autre. Une expérience humaine enrichissante qui complète la portion plus personnelle de confrontation à ses propres valeurs. Et une occasion, peut-être, de moins interagir avec les autres sur le web et un peu plus directement avec les individus afin de trouver les meilleures réponses aux problèmes actuels. Une belle façon de ramener l'écoute et l'empathie à l'ordre du jour.

Ce spectacle est à l'affiche pour encore deux représentations le 10 juin à 15h et 19h. 


Bon théâtre et bonne danse!

vendredi 9 juin 2017

Le déclin de l'empire américain: 30 ans plus tard

Une reprise à la fois plus sombre et plus poétique que l'original. Une oeuvre toujours aussi pertinente trente ans plus tard. L'humain a-t-il vraiment changé en 30 ans? Il semble bien que non.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Jean-François Brière

Trente ans après le film culte de Denys Arcand, présenté au Festival de Cannes, nommé aux Oscars et plébiscité par les publics un peu partout dans le monde, en voici une version 2.0, qui réactualise et refonde le scénario original tout en préservant la dynamique des personnages ainsi que l’essence de l’œuvre première.

Un groupe d'amis au tournant de la quarantaine se rassemble pour un souper dans un chalet en Estrie. Appartenant tous, sauf un qui surgira tel un intrus, à l’élite intellectuelle, ces universitaires, professeurs et artistes tiennent cependant, dans l’intimité de cette rencontre amicale, des propos révélant la déliquescence actuelle de notre société nord-américaine. Le vernis intello éclate rapidement pour céder le pas au sexe et à ses vicissitudes.

Toujours pertinent
Les thèmes abordés par Arcand dans son film, l'obsession du sexe et l'infidélité, entre autres, s'avèrent toujours aussi pertinents aujourd'hui qu'il y a trente ans. Quarantenaires d'aujourd'hui et d'il y a trente ans, mêmes vicissitudes.

Le décor minimaliste, peu d'accessoires et un plateau carré au centre de la scène, amène judicieusement le spectateur à faire preuve d'imagination pour visualiser les différents lieux. Les changements à vue et les acteurs qui squattent constamment les alentours de la scène principale, ajoutent une touche intime. Le spectateur vit au rythme des personnages et investit mentalement l'espace en même temps que l'acteur qui en prend possession.

Crédit photo: Claude Gagnon

Plus sombre et poétique

Le duo Dubois/Farah propose une oeuvre plus poétique et sombre que la version cinématographique originale. Les éclairages doucereux et la mise en scène épurée qui laisse une grande place à la poésie des corps qui se déplace lentement ou en mode légèrement dansé, comme si le mouvement représentait le temps qui file, y contribuent pour beaucoup.

L'ouverture du spectacle avec la double scène du massage, où un professeur d'histoire affublé d'un pénis postiche jouit, et de l'interview d'une historienne qui vient d'écrire un livre intitulé Après-nous le déluge?, mets la table pour la suite. La discussion sera érotique et sexuel ou ne sera pas. C'est d'ailleurs l'essentiel du propos. Le sexe, l'infidélité, les propos grivois, les aventures des uns et des autres sont au menu. Les infidélités de l'un des convives sera d'ailleurs le déclencheur d'un drame qui éclaboussera un peu tout le monde. Infidèles et vantards en 2017 comme en 1987. Les conséquences sont les mêmes également. L'environnement est peut-être différent mais l'humain demeure un humain.

Détournement de personnage
Adapté un oeuvre a souvent du bon. Parfois un peu moins. La version Dubois/Farah effectue un détournement de personnage plutôt surprenant avec l'intrus. Celui qui s'invite au souper. Dans la version originale et aussi dans celle-ci, il est la brute, l'animal. Celui qui ne pense qu'avec son sexe. Il n'est qu'un amant ne recherchant que le plaisir pur. Or, ici le personnage intervient au souper avec un discours socio-politique qui ne cadre pas très bien avec le personnage. Une adaptation aux discours de 2017 qui ne sied pas à merveille avec la personnalité de cet intrus.

Crédit photo: Claude Gagnon
À voir
Autrefois comme aujourd'hui, Le déclin de l'empire américain propose une réflexion sur la quête de soi, de son identité. La pièce nous confronte à la futilité de notre propre existence et nous lance en pleine face nos propres contradictions. Une belle leçon de vie!

Ce spectacle est à l'affiche pour encore deux soirs (9 et 10 juin). Avec Patrice Dubois, Bruno Marcil, Marie-Hélène Thibeault, Sandrine Bisson, Dany Boudreault, Éveline Gélinas, Simon Lacroix, Marilyn Castonguay et Jean-Sébastien Lavoie. D'après le scénario de Denys Arcand dans une adaptation de Patrice Dubois et Alain Farah. Une mise en scène de Patrice Dubois.

Autres critiques de spectacles au Carrefour:
Un faible degré d'originalité
Table rase
La fureur de ce que je pense
Des arbres à abattre
Projet BBQ (dans sa version 2016)

Bon théâtre et bonne danse!

Un faible degré d'originalité: humour en boîte!

C'est à un véritable moment d'humour en boîte auquel nous convie Antoine Defoort. Un spectacle qui aborde, sans ennuyer, le concept du droit d'auteur, ça il faut le faire! Et Antoine Defoort le réussit avec brio.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Simon Gosselin

Ça commence comme une vraie conférence. Antoine Defoort retrace ici la rocambolesque histoire du droit d’auteur, du 15e siècle à nos jours. S’étant vu refuser par les ayants droits la possibilité de créer une adaptation de la comédie musicale Les Parapluies de Cherbourg, il s’est intéressé à la loi du droit d'auteur et a conçu cet objet hybride, ludique, en forme d’exploration philosophico-burlesque.

C’est aussi, donc, un vrai spectacle. Blagues, anecdotes et stratagèmes scéniques parsèment cette «randonnée conceptuelle dans le massif de la propriété intellectuelle, nimbé d’un épais brouillard juridique.» L’idée même du créateur propriétaire de son œuvre a survécu vaille que vaille à trois grandes révolutions médiatiques, celles du langage, de l’écriture et de l’imprimerie. Que deviendra-t-elle maintenant dans le raz-de-marée du numérique?

Doigt d'auteur
Faible le degré d'originalité? Certainement! Mais pas le degré d'humour. Ah, ça non! C'est un beau moment en agréable compagnie que ce Faible degré d'originalité. Et une réflexion intéressante sur le sujet. Un peu didactique mais sans plus.

Antoine Defoort est plutôt sympathique et pince-sans-rire. Il est un conteur hors pair et son spectacle, qui tire d'ailleurs son nom de la définition même du niveau d'originalité que doit avoir une oeuvre pour que le droit d'auteur soit reconnu, vaut le déplacement. De l'humour, de l'information et une agréable soirée en chouette compagnie. Vous y découvrirez d'ailleurs la blague du microphone. Unique et protégée par le droit d'auteur. Une belle inspiration de Defoort.

Il offre un magnifique doigt d'auteur aux ayants droits des Paraplues de Cherbourg avec sa charmante démonstration pseudo-scientifique du droit d'auteur. Il prend les codes et la méthodologie du discours scientifique et y infiltre le petit côté sympathique de l’antihéros ordinaire. Une démonstration plus que charmante.

Il y glisse également une magnifique illustration de concepts avec une série de boîtes en carton. Vous ne verrez jamais plus le concept de droit d'auteur de la même façon. Ni les boîtes de carton!

Un franc succès
Une salle quasiment pleine pour un spectacle plein d'humour. Et une belle occasion de déguster un Whippet que l'auteur et acteur offre à l'entrée de la salle. Pourquoi se priver d'un tel plaisir!

Ce spectacle est à l'affiche pour encore un soir (9 juin). De et avec Antoine Defoort.

Autres critiques de spectacles au Carrefour:
Table rase
La fureur de ce que je pense
Des arbres à abattre
Projet BBQ (dans sa version 2016)

Bon théâtre et bonne danse!

jeudi 1 juin 2017

La fureur de ce que je pense: morte depuis toujours

Morte depuis toujours, c'est du Nelly Arcand et c'est ce qui ressort du collage de ses textes. De son vivant elle était une morte en sursis grâce à l'écriture qui lui offrait une porte de sortie. Un pansement, bien temporaire, sur un immense malaise qui ne pouvait se conclure que par la mort.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Caroline Laberge

Dans  une  partition  écrite pour six actrices et une danseuse et construite à partir des mots de l’auteure disparue, sept jeunes femmes livrent sept chants de la douleur de vivre. Sept femmes qui se retrouvent dans des cages vitrées. Enfermées dans leur image et prises au piège d'une société qui les confine dans des rôles prédéterminés et stéréotypés.

LE CHANT PERDU
Anne Thériault
Où il est question de l'errance, de la solitude et de la souffrance

LE CHANT DES MIRAGES
Sophie Cadieux
Où il est question des illusions, de l'image et du corps

LE CHANT OCCULTE
Christine Beaulieu
Où il est question de la destinée et de la confusion des genres

LE CHANT DE L'ÉTHER
Julie Le Breton
Où il est question du cosmos, des étoiles et de la nature

LE CHANT DU SANG
Johanne Haberlin
Où il est question des liens du sang et de la descendance

LE CHANT DE L'OMBRE
Évelyne de la Chenelière
Où il est question du pouvoir d'attraction de la mort

LE CHANT DES SERPENTS
Larissa Corriveau
Où il est question de foi et de folie

... je me raconte l'histoire d'une grande famille de femmes comblées par un seul homme,

je me raconte une mère et ses deux filles,
une mère qui serait la fille d'un homme et de qui elle aurait eu ses filles,
j'imagine les deux filles portant l'enfant de cet homme
qui serait à la fois leur père et le père de la mère,
et les deux filles mettraient logiquement au monde de petites filles, deux chacune,
elles-­­mêmes futures épouses de leur père,
sept femmes transmettant sur trois générations la particularité
d'être toutes les unes pour les autres, à la fois mères et sœurs et filles,
elles formeraient un clan indivisible et leur ressemblance serait redoutable
elles seraient vénérées par des hommes qui se battraient entre eux
pour participer de ce prodige...

Portraits poignants
Dans six cages superposés, six portraits poignants. Six personnalités tirées de la magnifique prose de Nelly Arcand. La femme qui marche, la septième femme, celle qui squatte le cube intitulé Le chant perdu fait le lien entre toutes. Spectre errant qui s'agrippe à chacune des autres femmes.

Sept furies qui dépeignent une femme multiple. Prises au piège de l'image que la société impose, elles rugissent, crient leur désarroi, leur mal-être. Ce collage de textes de Nelly Arcand transpire la très grande souffrance de cette femme qui se donnait en spectacle pour survivre. Il présente aussi la difficulté d'être femme. De satisfaire le père, l'amant, l'amoureux. De plaire à tout prix. Des souffrances que la difficulté d'être femme exige. Un regard féminin sur la souffrance féminine.

Crédit photo: Caroline Laberge

Le spectacle se clôt sur la femme qui marche qui quitte la scène. Elle disparaît à jamais après que les six femmes prisonnières de leur cage se soient tues. Tout comme Nelly Arcand qui a quitté pour un monde meilleur après que sa plume se soit tue.

Bien orchestré
Si la pièce propose un flot de pensées de Nelly Arcand, la mise en scène de Marie Brassard exige une performance physique de la part des comédiennes. La femme tourmentée qu'était Nelly Arcand trouve un merveilleux écho dans cette mise en scène. Elle nous plonge dans les profondeurs et les méandres de l'âme de Nelly Arcand en sept moment, sept univers merveilleusement bien orchestrés.

Supportée par une magnifique distribution qui offre des performances sublimes, intelligentes et d'une très grande sensibilité, elles sont toutes excellentes mais mon coup de coeur va à Larissa Corriveau, la mise en scène vaut le déplacement à elle seule. Les éclairages et la scénographie créent une extraordinaire ambiance délétère qui dépeint à merveille l'état d'esprit qui devait être celui de Nelly Arcand. Un spectacle d'ambiance, de sons et de chants, quelques vers d'oreille vous attendent d'ailleurs au détour.

Crédit photo: Caroline Laberge

La présence de cette femme qui marche, la merveilleuse danseuse Anne Thériault, est une idée de génie. Ce spectre errant est à la fois celle qui soutient, punit ou accompagne les six autres femmes toutes aussi meurtries les unes que les autres. Elle ajoute grâce et mystère au défoulement des furies en cage.

Si la vie de Nelly Arcand s'est soldé par une fin tragique, La fureur de ce que je pense vaut le déplacement pour le merveilleux moment de théâtre qu'il propose. Malheureusement, le spectacle n'était présenté qu'une seule fois. Prions pour qu'un de nos théâtres le reçoive en production invitée au cours de la prochaine saison.

Ce spectacle n'était présenté qu'une seule fois à Québec. Il n'est donc plus à l'affiche du Carrefour. Il sera cependant à l'affiche du Festival TransAmériques du 3 au 6 juin. Avec Anne Thériault, Sophie Cadieux, Christine Beaulieu, Julie Le Breton, Johanne Haberlin, Evelyne de la Chenelière et Larissa Corriveau. Un collage de textes de Nelly Arcand. Une mise en scène de Marie Brassard.

Autres critiques de spectacles au Carrefour:
Des arbres à abattre
Projet BBQ (dans sa version 2016)

Bon théâtre et bonne danse!