jeudi 1 juin 2017

La fureur de ce que je pense: morte depuis toujours

Morte depuis toujours, c'est du Nelly Arcand et c'est ce qui ressort du collage de ses textes. De son vivant elle était une morte en sursis grâce à l'écriture qui lui offrait une porte de sortie. Un pansement, bien temporaire, sur un immense malaise qui ne pouvait se conclure que par la mort.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Caroline Laberge

Dans  une  partition  écrite pour six actrices et une danseuse et construite à partir des mots de l’auteure disparue, sept jeunes femmes livrent sept chants de la douleur de vivre. Sept femmes qui se retrouvent dans des cages vitrées. Enfermées dans leur image et prises au piège d'une société qui les confine dans des rôles prédéterminés et stéréotypés.

LE CHANT PERDU
Anne Thériault
Où il est question de l'errance, de la solitude et de la souffrance

LE CHANT DES MIRAGES
Sophie Cadieux
Où il est question des illusions, de l'image et du corps

LE CHANT OCCULTE
Christine Beaulieu
Où il est question de la destinée et de la confusion des genres

LE CHANT DE L'ÉTHER
Julie Le Breton
Où il est question du cosmos, des étoiles et de la nature

LE CHANT DU SANG
Johanne Haberlin
Où il est question des liens du sang et de la descendance

LE CHANT DE L'OMBRE
Évelyne de la Chenelière
Où il est question du pouvoir d'attraction de la mort

LE CHANT DES SERPENTS
Larissa Corriveau
Où il est question de foi et de folie

... je me raconte l'histoire d'une grande famille de femmes comblées par un seul homme,

je me raconte une mère et ses deux filles,
une mère qui serait la fille d'un homme et de qui elle aurait eu ses filles,
j'imagine les deux filles portant l'enfant de cet homme
qui serait à la fois leur père et le père de la mère,
et les deux filles mettraient logiquement au monde de petites filles, deux chacune,
elles-­­mêmes futures épouses de leur père,
sept femmes transmettant sur trois générations la particularité
d'être toutes les unes pour les autres, à la fois mères et sœurs et filles,
elles formeraient un clan indivisible et leur ressemblance serait redoutable
elles seraient vénérées par des hommes qui se battraient entre eux
pour participer de ce prodige...

Portraits poignants
Dans six cages superposés, six portraits poignants. Six personnalités tirées de la magnifique prose de Nelly Arcand. La femme qui marche, la septième femme, celle qui squatte le cube intitulé Le chant perdu fait le lien entre toutes. Spectre errant qui s'agrippe à chacune des autres femmes.

Sept furies qui dépeignent une femme multiple. Prises au piège de l'image que la société impose, elles rugissent, crient leur désarroi, leur mal-être. Ce collage de textes de Nelly Arcand transpire la très grande souffrance de cette femme qui se donnait en spectacle pour survivre. Il présente aussi la difficulté d'être femme. De satisfaire le père, l'amant, l'amoureux. De plaire à tout prix. Des souffrances que la difficulté d'être femme exige. Un regard féminin sur la souffrance féminine.

Crédit photo: Caroline Laberge

Le spectacle se clôt sur la femme qui marche qui quitte la scène. Elle disparaît à jamais après que les six femmes prisonnières de leur cage se soient tues. Tout comme Nelly Arcand qui a quitté pour un monde meilleur après que sa plume se soit tue.

Bien orchestré
Si la pièce propose un flot de pensées de Nelly Arcand, la mise en scène de Marie Brassard exige une performance physique de la part des comédiennes. La femme tourmentée qu'était Nelly Arcand trouve un merveilleux écho dans cette mise en scène. Elle nous plonge dans les profondeurs et les méandres de l'âme de Nelly Arcand en sept moment, sept univers merveilleusement bien orchestrés.

Supportée par une magnifique distribution qui offre des performances sublimes, intelligentes et d'une très grande sensibilité, elles sont toutes excellentes mais mon coup de coeur va à Larissa Corriveau, la mise en scène vaut le déplacement à elle seule. Les éclairages et la scénographie créent une extraordinaire ambiance délétère qui dépeint à merveille l'état d'esprit qui devait être celui de Nelly Arcand. Un spectacle d'ambiance, de sons et de chants, quelques vers d'oreille vous attendent d'ailleurs au détour.

Crédit photo: Caroline Laberge

La présence de cette femme qui marche, la merveilleuse danseuse Anne Thériault, est une idée de génie. Ce spectre errant est à la fois celle qui soutient, punit ou accompagne les six autres femmes toutes aussi meurtries les unes que les autres. Elle ajoute grâce et mystère au défoulement des furies en cage.

Si la vie de Nelly Arcand s'est soldé par une fin tragique, La fureur de ce que je pense vaut le déplacement pour le merveilleux moment de théâtre qu'il propose. Malheureusement, le spectacle n'était présenté qu'une seule fois. Prions pour qu'un de nos théâtres le reçoive en production invitée au cours de la prochaine saison.

Ce spectacle n'était présenté qu'une seule fois à Québec. Il n'est donc plus à l'affiche du Carrefour. Il sera cependant à l'affiche du Festival TransAmériques du 3 au 6 juin. Avec Anne Thériault, Sophie Cadieux, Christine Beaulieu, Julie Le Breton, Johanne Haberlin, Evelyne de la Chenelière et Larissa Corriveau. Un collage de textes de Nelly Arcand. Une mise en scène de Marie Brassard.

Autres critiques de spectacles au Carrefour:
Des arbres à abattre
Projet BBQ (dans sa version 2016)

Bon théâtre et bonne danse!

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