vendredi 3 novembre 2017

Le cas Joé Ferguson: tout en nuances

Le Trident propose un spectacle tout en nuances où compassion et pardon côtoient silence, méchanceté et pensée manichéenne.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Suzanne O'Neill
Joé Ferguson était un jeune bon-à-rien vivant dans un petit village reculé. Un jour, apparemment sans avertir, il tue la très aimée directrice de l’école primaire, Sœur Laurette, avant de se suicider. La religieuse est immédiatement enterrée au cimetière de sa congrégation à des centaines de kilomètres de là, mais les cendres de Joé, elles, sont déposées au columbarium du village, causant, dans la minuscule population, un immense malaise.

Le 31 mai dernier, Joé Ferguson, vingt et un ans, a assassiné Sœur Laurette,
la directrice de l'école primaire.
Y l'a étranglée, à mains nues, dans son petit appartement pis, après,
y l'a poignardée à plusieurs reprises avec un couteau de cuisine.
Après, y s'est fait harakiri. Avec le même couteau.
C'est le voisin d'à côté qui les a trouvés, côte à côte, dans leur sang.
Les policiers ont dit que c'était spécial parce qu'on voit rarement ça,
des suicides par hara-kiri.
Pour nous autres, un meurtre au couteau pis un suicide par hara-kiri,
c'est pas juste spécial, c'est carrément un tsunami.
Un tsunami qui a dévasté notre village !

Au milieu de la communauté sous le choc, une jeune étudiante en criminologie débarque pour poursuivre ses recherches portant sur l’impact des crimes graves dans une population rurale. À la recherche de témoignages, la protagoniste donne à la pièce des airs d'enquête policière, où le public tentera à son tour de retrouver toutes les pièces du casse-tête, mais surtout d’aller au-delà du fait divers.

Silence et ouverture

Crédit photo: Suzanne O'Neill
Le silence est présent à chaque minute dans cette pièce. Le silence d'êtres brisées par un drame qui les touche au plus profond d'eux-mêmes. Une seule personne, ou peut-être deux, accepte de s'ouvrir et, maladroitement certes, de comprendre. De comprendre le malaise. D'essayer de voir l'autre côté de la médaille. D'avoir de la compassion et de pardonner. Des silences qui, curieusement, permettront une certaine ouverture.

C’est trop facile de dire : ce sont des méchantes personnes.
Il faut essayer de comprendre ce qui pousse quelqu’un à commettre l’impardonnable.
Il y a beaucoup de monde qui pense que ça existe du monde méchant.
Moi, je suis convaincue du contraire.

Tout est en nuances dans ce spectacle. Et c'est ce qui en fait la force. Le jeu des comédiens. L'éclairage, magnifique, et la musique qui enveloppent merveilleusement bien, et par petites touches, la trame et le jeu des comédiens. Tout concourt à amener le spectateur à se questionner. À voir les nuances. Les entendre. Les silences qui meublent ici et là la pièce sont éloquents à cet égard.

Le texte, construit sur le mode enquête, propose des versions diamétralement opposée sous lesquelles d'autres drames se cachent. Les intentions ne sont pas toujours celles que l'on s'imaginent. Derrière des positions, fermes parfois, se cachent, des silences encore plus profondément ancrés que ceux ouvertement exprimés.

Sorties de la plume d'Isabelle Hubert, les mots n'en sont que plus percutants. Sa plume est réaliste, certes, mais ses mots marquent et frappent justes. Rien n'est complètement noir ou blanc. Il y a une panoplie de nuances de gris entre les deux. Et c'est vrai pour les drames. En cette époque de condamnation facile, c'est un doux baume et une intéressante matière à réflexion que propose Le Trident.

À ne pas manquer
Le dénouement de cette pièce à lui seul vaut le déplacement. Un magnifique geste d'espoir et de pardon. Un moment rédempteur qui s'intéresse aux drames des proches qui, trop souvent, ne sont pas pris en compte. Une autre couche de nuances. Merci Isabelle Hubert!

Allez-y surtout si vous aimez: le théâtre réaliste, la plume d'Isabelle Hubert.

Au Trident jusqu'au 25 novembre. Avec Joëlle Bond, Sylvie Drapeau, Valérie Laroche et Steven-Lee Potvin. Un texte d'Isabelle Hubert. Une mise en scène de Jean-Sébastien Ouellette.

Vous voulez en savoir plus? Écoutez notre interview avec Jean-Sébastien Ouellette ici (au début de l'émission du 23 octobre).

Bon théâtre et bonne danse!

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