samedi 10 février 2018

Titus: chaos remixé

Le Titus des Écornifleuses sera en tournée au Prospéro à Montréal du 13 au 24 février. Voici donc, pour les théâtrophiles de Montréal, notre critique lors de sa création à Québec à l'automne dernier.

Une critique de Robert Boisclair

L'espoir semble animer Les Écornifleuses et Édith Patenaude. C'était le cas pour Le monde sera meilleurL'absence de guerre ou Disparaître ici, quelques-unes de leurs précédentes productions, et avec Titus il squatte de nouveau la scène. L'espoir se fout des apparences. Il cherche à aller à contre-courant de celles-ci. Retour sur une large bouffée de cet espoir qu'elles nous proposent.

Crédit photo: Charles Fleury
Titus est une adaptation du Titus Adronicus de Shakespeare dont voici un bref résumé:
Imaginez quelqu'un qui a perdu vingt-et-un fils au champ de bataille, qui a tué le vingt-deuxième dans un accès de rage, qui a une fille victime d'un viol et amputée sauvagement de ses deux mains et de sa langue; qui a deux autres fils qui sont injustement accusés d'un meurtre. On lui signale qu'il peut épargner la peine de mort à ses deux fils s'il se coupe lui même une main. Il s'y exécute, mais on lui renvoie les deux têtes de ses fils et sa main avec un mot railleur.

On attend qu'une suprême fureur brise toutes les digues, mais Titus rit seulement. En sortant avec son frère avec les deux têtes sur les bras, il dit à sa fille, comme pour ne pas la laisser à part : «Porte ma main, ma douce, entre tes dents.»

Les Écornifleuses proposent leur interprétation de ce classique de Shakespeare. Un spectacle androgyne ou rien n'est ce qu'il semble être. Une lueur d'espoir dans un monde corrompu.

Spectacle androgyne
Le public s'installe doucement, les comédiens également. Ils entrent un à un sur scène pour faire leur échauffement pendant que le public prend place. C'est ce que sera le spectacle, un lieu convivial qu'habite le spectateur et le comédien sans véritable écran entre les deux.

Crédit photo: Charles Fleury
L'espace scénique est dénudé ou presque. Des chaises placées de chaque côté où trôneront les comédiens entre leurs scènes. Des tambours, un à gauche, deux à droite. Un espace quasi-vide, lieu de tous les drames. Un espace réservé au verbe et au corps. Le théâtre dans son plus simple habillage. Ce n'est plus une scène. C'est le lieu de tous les drames... et de tous les espoirs.

Une maîtresse de cérémonie, Marie-Hélène Lalande, prend la parole et situe le spectateur. Les rôles seront inversés de toutes les manières possibles: les personnages masculins seront interprétés par les comédiennes, les personnages féminins par les comédiens, l'interprète de race noire sera un personnage de race blanche alors qu'une comédienne de race blanche interprétera un personnage masculin de race noire.

Crédit photo: Charles Fleury
L'inversion des rôles, si elle crée parfois des situations qui surprennent, lors de la scène de viol par exemple, donne l'occasion à des comédiennes de s'approprier des rôles, de vivre des émotions habituellement inaccessibles pour elles. Et c'est tant mieux. Pour le spectateur, il n'y a aucune différence. L'émotion est là. L'histoire est tout à fait compréhensible et tout aussi admirable qu'avec une interprétation traditionnelle. Encore une fois, rien n'est ce qu'il semble être.

Chaos remixé
Le Titus d'Édith Patenaude, metteuse en scène que j'admire énormément, et des Écornifleuses, joyeuse bande de comédiennes, est une bête étrange. Un objet insaisissable, pendant et tout juste après la représentation, et d'une grande clarté plus tard, alors que tout a été absorbé.

Titus Andronicus de Shakespeare est une pièce qualifié par plusieurs de pièce sale, sanglante, barbare, primaire voire désordonnée. Une pièce où le chaos règne. Titus est un chaos remixé, transformé, brassé à la sauce Écornifleuses. Du théâtre de répertoire devenu du théâtre de recherche. C'est prendre le chaos de Shakespeare et l'organiser. Lui donner un autre sens ou plutôt offrir une lueur d'espoir. Et si du chaos naissait la lumière ou un éclairage différent. C'est ce que propose le dénouement offert par les Écornifleuses.

Crédit photo: Charles Fleury
Édith Patenaude dit dans son mot de metteuse en scène qu'elle s'inquiète pour la suite des choses dans notre monde d'aujourd'hui mais qu'elle a été étonnée des tonnes de fois. Le dénouement de Titus, c'est un peu ça. Une suite des choses qui pourrait être totalement différente de ce que laisse entendre tout ce qui précède. L'espoir est là. Latent. En attente. Car après tout nous ne sommes que des hommes et des femmes et nous pouvons nous adapter. Nous ouvrir au changement. Ou voir les choses autrement.
Certains seront déçus. Ni verront rien de bien nouveau. De bien éclatant. Je l'ai entendu dans les corridors du pavillon Casault de l'Université Laval en quittant le spectacle. C'était mon cas en quittant la salle. Puis lentement ce Titus m'a interpellé. Au réveil, rien n'était plus pareil. Il avait fait son chemin pendant mon sommeil. Rien n'est ce qu'il semble être.

Ceci n'est pas du Shakespeare... un peu, beaucoup tout de même!
Si le texte a été remis au goût du jour dans une adaptation d'Édith Patenaude, le souffle de Shakespeare demeure. La tragédie aussi. La grande tragédie. La pièce est sanglante, gore mais imagée. Les meurtres et carnages sont là mais le sang ne coule qu'une seule fois en version liquide. L'assassinat est mimé, joué. L'imaginaire fait le reste.

Le texte est adapté et à l'accent québécois. Si un ta yeule ou un tabarnak bien placé fait toujours son effet, ici les expressions purement québécoises jurent un peu trop et deviennent risibles. Un moment de décrochage non souhaité et une perte d'attention du spectateur non désirée. Car le texte est dense. Touffu. Même si la maîtresse de cérémonie et quelques personnages nous replacent dans l'action à certains moments, le texte demande une grande attention de la part du spectateur. Et les décrochages n'aident pas à suivre l'action.

Crédit photo: Charles Fleury
La combinaison du chant lyrique et des tambours, qui enterrent malheureusement parfois les répliques des comédiens, et le magnifique éclairage créent une ambiance tribale. Les loups sont prêts à s'entredévorer et ce ne sera pas joli. Point besoin de décor, l'ambiance fait le travail. Et le texte est roi ainsi que la performance des interprètes.

Malgré quelques accrocs et un blanc, la distribution surprend. Il faut voir la transformation de Marie-Hélène Gendreau tout au long du spectacle qui passe d'un être vil, certes, mais relativement doux à un monstre meurtrier. Dominique Leclerc, solide Aaron, surprend pour son aplomb dans le rôle d'un maure avide de pouvoir. Joanie Lehoux, dans le rôle titre, épate. Une magnifique occasion de la découvrir dans un rôle qui lui sied bien. Elle réussit, elle qui est toute menue, à nous persuader que Titus a de l'ascendant et un pouvoir énorme sur les autres romains. Elle devient, à plusieurs reprises, un véritable ogre prêt à tuer pour obtenir ce que son personnage veut.

Crédit photo: Charles Fleury
À découvrir
Un spectacle hors des sentiers battus. Un spectacle imparfait, rugueux, gore avec de nombreuses qualités également. Une occasion unique de découvrir des comédiennes et des comédiens en contre-emploi total. Ne vous laissez pas rebuter par son côté gore, sa violence ou son renversement des rôles. Allez-y l'esprit ouvert, laissez décanté et savourez le résultat. Et n'oubliez pas, rien n'est ce qu'il est supposé être.

Allez-y surtout si vous aimez: le théâtre de répertoire revisité, les Écornifleuses, les mises en scène d'Édith Patenaude, découvrir un spectacle androgyne ou rien n'est ce qu'il semble être.

Crédit photo: Charles Fleury
Une présentation du Périscope au LANTISS du pavillon Casault de l'Université Laval jusqu'au 2 décembre. Avec Mykalle Bielinski, Caroline Boucher-boudreau, Véronique Côté, Marie-Hélène Gendreau, Marie-Hélène Lalande, Dominique Leclerc, Joanie Lehoux, Anglesh Major, Valérie Marquis et Guillaume Perrault. Un texte de William Skahespeare dans une adaptation d'Édith Patenaude. Une mise en scène d'Édith Patenaude.

Bon théâtre et bonne danse!

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